L'or rouge en question
Derrière cette définition, se cache un produit de consommation courante dont les modes de production ont interpellé les étudiants en agronomie de la Haute Ecole CONDORCET d'Ath
Pour la Haute Ecole CONDORCET, le programme JAGROS a été l'occasion ce 23 octobre 2018 de débattre sur l'impact des dérives de la globalisation et du capitalisme industriel.
L'interview de l'auteur de "L'empire de l'or rouge " (bande annonce) permet de mieux en comprendre le fonctionnement :
En quoi ce marché de la tomate de l’industrie est-il symbolique des dérives du capitalisme ?
L’industrie de la tomate cherche depuis plus d’un siècle à produire toujours plus, pour augmenter ses profits, en réduisant ses coûts de fabrication, et en exportant toujours plus loin sa production. L’invention du baril aseptique, dans les années 1980, a facilité les flux inter-continentaux des concentrés de tomates. Ces grands barils ont rendu possible la délocalisation de la production du concentré de tomates. Avec la mondialisation des échanges, la libre circulation des marchandises et des capitaux ont accouché d’une situation absurde : il est aujourd’hui possible de trouver dans les rayons des supermarchés européens des sauces tomates dont les étiquettes disent qu’elles sont « provençales » ou « italiennes », mais qui est en réalité sont composées de tomates concentrées d’importation, souvent chinoises.
L’arrivée de la Chine sur le marché de la tomate d’industrie est un autre tournant ?
C’est ce que j’ai voulu expliquer dans mon livre : comment un pays qui consomme très peu de sauce tomate est devenu subitement le premier producteur mondial de concentrés de tomates ? Le processus a commencé dans les années 1990 lorsque des industriels italiens, notamment napolitains, qui contrôlaient alors des pans entiers de la filière de la tomate d’industrie, sont allés installer en masse des usines de transformation de tomates dans le Xinjiang. Parfois en les offrant. Des concentrés à des prix ultra-compétitifs sont arrivés sur le marché à partir des années 2000. Les tomates étaient récoltées par une main-d’œuvre sous-payée, parfois des enfants ou des prisonniers. Ces industriels italiens n’ont pas fait qu’installer ces usines, ils ont dès le départ acheté les concentrés de tomates chinois pour les reconditionner ensuite en Italie et les vendre dans des conserves aux couleurs de leur pays.
Comment en arrive-t-on alors à avoir aujourd’hui des boîtes de concentrés de tomate avec 69 % d’additifs pour seulement 31 % de tomates ? et que ce ne soit pas indiqué sur l’étiquette !!
Cette fraude concerne essentiellement le marché du concentré en Afrique. Pour réduire les coûts de production, certaines usines de transformation àTianjin (près de Pékin) coupent le concentré de tomates qu’ils mettent en bouteille avec divers additifs comme de la fibre de soja, de l’amidon, du glucose. Ces ingrédients tous moins chers que la tomate. Ces additifs ne sont pas déclarés sur les étiquettes, qui vantent parfois une authenticité italienne. Ces boîtes sont exportées en Afrique, essentiellement dans l’Ouest, où elles sont vendues pour rien et concurrencent alors les producteurs de tomates africains. Le continent est vulnérable parce qu’il n’a pas les autorités sanitaires capables d’organiser des contrôles stricts et, lorsqu’il y en a, ils peuvent être contournés par la corruption.
Et en France, d’où viennent les concentrés de tomates vendus en grande surface ?
Les très grands industriels du ketchup ou des produits surgelés utilisent très couramment du concentré de tomates chinois dans la composition de leurs produits, ceux qui sont commercialisés en Europe. Un exemple frappant : l’Allemagne et les Pays-Bas sont les deux plus gros exportateurs de sauces et de ketchup en Europe et ils ne produisent pas la moindre tomate d’industrie. Ils importent alors des concentrés de tomates qui viennent, selon la saison et la disponibilité des stocks, de Californie, d’Espagne ou bien de Chine. Il n’y a rien d’illégal. Mais il y a un manque clarté dans l’étiquetage des produits qui, lui, est discutable. Jamais une sauce ou un coulis ne précisera que le concentré de tomate utilisé vient de Chine lorsque c’est le cas.
Comment limiter ces dérives ?
J’ai découvert dans cette enquête que la filière de la tomate d’industrie est au final aux mains d’une poignée de mastodontes industriels. Une piste serait d’organiser des contre-pouvoirs chargés de surveiller ces industries agroalimentaires, d’informer sur la provenance et la qualité des ingrédients utilisés. Nous avons besoin de plus de transparence, de traçabilité, d’informations. Ce sujet est aussi éminemment politique. Pourquoi les Européens, qui sont en mesure d’être autosuffisants sur ce marché via leurs filières portugaise, grecque, espagnole, italienne ou encore française, ne consomment-ils pas leurs productions et seulement leurs productions ? Pour cela, il faudrait remettre en cause l’idéologie du libre marché.